Si le jugement de l’histoire sera nuancé et peut-être positif sur la diplomatie de Jacques Chirac, il sera certainement sévère sur son traitement de l’économie et de la société française. Il fut initialement élu sur un projet clair, défini par lui-même : encourager l’esprit d’entreprise et réduire la fracture sociale. Or, sur ces deux sujets, Chirac n’aura pas dépassé le stade des slogans : lorsqu’il dut cohabiter avec un gouvernement socialiste de 1997 à 2002, il s’opposa mollement à l’étatisation de l’économie et lorsqu’il put gouverner librement avec la majorité de son choix après 2002, il n’adopta pas de mesures libérales. Tous gouvernements confondus, les dépenses publiques n’ont cessé d’augmenter, ainsi que le nombre des fonctionnaires et la dette publique. Rien n’a été tenté pour réduire ni le poids de l’État ni la réglementation du travail ; celle-ci a même été alourdie par des dispositions concernant l’environnement, un hobby personnel du Président. La tentative désespérée de Dominique de Villepin pour modifier très modestement un détail du Droit du travail a été rejetée par l’opinion publique, en grande partie parce qu’elle survenait, sans explication, et après dix ans de statu quo.
À aucun moment, Jacques Chirac n’aura proposé une analyse de la croissance lente et du chômage élevé qui caractérisent la France depuis qu’il est Président : aucune analyse et, par conséquent, aucune ligne politique claire. Cet immobilisme tient sans doute aux convictions personnelles de Jacques Chirac et aux temps anciens où il fut éduqué : il aime l’État et estime qu’il appartient à l’État de guider l’économie. En même temps, il sait que l’État ne dispose ni des moyens ni des capacités d’agir comme dans les années 1960. Une contradiction insurmontable : mais on est Français, que diable, et on ne va tout de même pas se convertir à un libéralisme tout juste bon pour les Anglais ?
Le résultat de cette contradiction aura été un mélange inefficace d’exhortations aux entrepreneurs et de semi-mesures social-démocrates pour aider les activités en difficulté. Bien des Français en ont pris acte et sont partis travailler à l’étranger, en particulier en Grande-Bretagne et aux États-Unis : un exil sans précédent historique. Quant aux plus pauvres des Français, généralement issus de l’immigration, ils restent coincés en France, survivant entre la débrouillardise et le désespoir.
N’est-il pas miraculeux que, malgré tout, la France reste en apparence si prospère ? Elle l’est, en effet, mais grâce au capital accumulé au cours des générations passées et aussi grâce à la mondialisation de ses entreprises-leaders. Mais, toutes ces entreprises sont très anciennes, dans des secteurs traditionnels. Dans la France de Chirac, mieux vaut donc être retraité avec un patrimoine que jeune et entreprenant.
Onze ans de statu quo économique mais aussi de paralysie sociale : le grand échec de ces années-là aura été l’incapacité d’intégrer les immigrants. Les déclarations de sympathie pour l’Islam (à condition qu’il ne soit pas intégriste : d’où l’interdiction du voile à l’école) ne font pas une politique. Jacques Chirac aura perpétué la marginalisation des immigrés en ne choisissant pas une politique libérale créatrice d’emplois pour les jeunes et en refusant toute forme d’affirmative action à l’américaine. Si des jeunes Arabes sont aujourd’hui tentés par un islamisme radical, c’est en partie parce que la société française leur est restée fermée. Il aura fallu attendre les dernières années du mandat de Jacques Chirac pour qu’enfin des Français d’origine arabe entrent au gouvernement, mais dans des fonctions stéréotypées : anciens combattants et aide à l’intégration. Au Parlement ne siège toujours aucun député d’origine arabe, pas plus à gauche qu’à droite.
(Josep Pla)
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divendres, 12 de maig del 2006
Un primer balanç del monarca Chirac
Guy Sorman publica un primer balaç provisional de l'era Chirac. En destaco un llarg fragment, però val la pena llegir l'anàlisi de cap a peus.