Le gouvernement mondial n’est pas pour demain, Dieu merci. Assemblée générale annuelle de l’ONU : me trouvant à New York, aux premières loges, pour écouter tous les chefs d’Etat pérorer à la tribune, je me réjouis du peu de pouvoir de cette assemblée. Mon regard serait-il superficiel ? Certains, dans la diplomatie française en particulier, pratiquent une vision transcendantale de l’ONU : oui, ces chefs d’Etat sont pour la plupart des tyrans et des kleptocrates, mais tous ensemble, leurs vices particuliers se métamorphoseraient en une sagesse générale.
En ce moment, à New York, les vices sont tout de même plus évidents que la sagesse : en profitent directement les hôtels, restaurants, boîtes de nuit et services d’escorte payés par les impôts , les razzias et la confiscation de l’aide internationale. Ces exactions sont infligées par les kleptocrates aux peuples les plus pauvres ; le président de la Banque mondiale a dénoncé la facture d’hôtel d’un million de dollars du président du Congo , pays qui ne parvient pas à rembourser ses dettes. Mais il y a pire que la corruption.
À la tribune de l’ONU, la palme de la clownerie et du mensonge aura cette année été fort disputée. On s’attendait à ce que le président iranien l’emporte ; mais, malgré un regard quelque peu allumé, sa dénonciation lancinante, répétitive de l’injustice de l’ordre mondial, anesthésia la salle et la presse. La surprise vint donc de Chavez, le Vénézuélien, qui, grimaces à l’appui, dénonça l’odeur de soufre qui planait encore sur l’estrade où le diable Bush avait parlé la veille. On sait aussi que converti en agent littéraire, il brandit un livre de Noam Chomsky qui, selon Chavez, révélait bien le complot de l’Amérique contre le monde. Les ouvrages délirants de Chomsky sont à peu près aussi scientifiques que le fut en son temps le Protocole des sages de Sion, qui dénonce l’emprise juive sur la planète. Mais Chomsky étant juif lui-même, c’est à l’Iranien Ahmadinejad que revient le prix spécial de l’antisémitisme.
S’étonnant de l’importance excessive que l’on accorde à l’extermination des Juifs d’Europe, Ahmadinejad a demandé la création d’une instance indépendante pour vérifier l’existence ou non de l’Holocauste ! S’il est prouvé qu’elle a eu lieu, ajoute le Président iranien, les Européens en sont responsables et il convient que les Israéliens s’en retournent en Europe, où ils seront logés et nourris. Inutile de se demander pourquoi le gouvernement iranien cherche à se doter d’une bombe atomique ? Sinon pour rayer Israël de la carte du Proche-Orient : nul d’ailleurs dans les couloirs de l’ONU ne doute de ce projet iranien . Comme l’a observé l’ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU , l’Iran disposant de quatre siècles de réserve de pétrole et de gaz, n’a aucun besoin de centrales nucléaires pour produire de l’énergie.
Face au délire et plus grave, face à la détermination de ce gouvernement iranien, Jacques Chirac aura aussi créé une surprise qui mérite une mention spéciale du jury. Alors que la France, jusque-là, était d’accord avec les Etats-Unis pour sanctionner l’Iran et bloquer, si faire se peut, son programme nucléaire, le Président français annonça à la tribune qu’il ne croyait pas aux sanctions ; si le Conseil de sécurité en adoptait, précisa Chirac , il fallait qu’elles soient douces. Les Américains , apparemment pas prévenus de ce volte-face, ont fait bonne figure, considérant sans doute que Chirac, en fin de parcours, était « irrelevant » et les Français de vrais faux alliés.
La presse américaine en conclut que des entreprises françaises, soutenues par Jacques Chirac, devaient réaliser de bonnes affaires en Iran : une interprétation quelque peu superficielle – à mon sens – qui sous-estime le désir véritable de Jacques Chirac de se poser en leader des pays non alignés et en défenseur des grandes civilisations menacées par l’américanisation culturelle. Chirac fut d’ailleurs, pour son ultime prestation à l’ONU, aussi chaleureusement applaudi que Chavez et Ahmadinejad.
La réception la plus glaciale, on le devine, fut réservée au Président des Etats-Unis.
Les Etats-Unis ont tout pour déplaire à l’assemblée des kleptocrates. Tout d’abord, le contribuable américain paye l’essentiel des frais de fonctionnement de l’ONU et de la réception à New York. Nul invité n’a le désir de remercier son hôte. Ensuite, les Américains n’ont que le mot démocratie à la bouche, une insulte permanente pour les trois quarts des délégués. Enfin, George W. Bush a fait appel à l’ONU pour une mission concrète et urgente : stopper le génocide au Darfour . Un massacre qui bouleverse actuellement l’opinion publique américaine mais a laissé l’Assemblée générale des Nations Unies totalement indifférente. Les représentants russes et chinois au Conseil de sécurité s’opposent d’ailleurs à une intervention au Darfour ; perpétuant leurs propres massacres contre les Tchétchènes, les Tibétains et les Ouïgours , ils ne veulent pas créer de précédent humanitaire . Chacun ne doit-il pas rester boucher l chez lui ?
Cette passivité de l’ONU face au Darfour ou à l’Iran se drape dans les deux alibis majeurs de la communauté internationale : souveraineté nationale et respect des civilisations.
La plupart des génocides sont conduits sous couvert de la souveraineté nationale, exercée par des tyrans, à l’abri des frontières arbitraires. Mais ces tyrans sont maintenant confrontés au droit d’ingérence humanitaire qui conteste la souveraineté nationale. C’est là qu’intervient la Civilisation ? Cet alibi, plus chic, a pris le relais de la souveraineté. Au nom de la Civilisation ( en général définie , proclamée et incarnée par des personnages peu civilisés eux-même), on va refuser la liberté d’expression (Chine) ou la liberté religieuse (Arabie, Soudan ) . Paradoxe des paradoxes : l’ONU, qui est en principe l’assemblée de l’humanité, dénie aux peuples leur appartenance à la nature humaine. Vu de l’ONU , un Chinois est chinois avant d’être un homme doté de droits naturels ….Les Américains sont à peu près les seuls, en compagnie de quelques Anglo-saxons, à estimer qu’il existe, par-delà les frontières et les civilisations, une humanité qui a droit – entre autres – à la liberté.
Mais, par chance, l’ONU n’est pas le gouvernement du monde : dans la mesure où ce gouvernement existe, il est américain. C’est un fait , que l’on aime ou non..
Même Chavez, Ahmadinejad, les Chinois, les Russes et les Français sont – de fait – des sujets involontaires de la Pax Americana.
Chavez ? Il traite les Américains de fascistes mais à qui vend-il le pétrole du Venezuela ,sinon aux Etats-Unis ? Les Chinois ? Si la flotte américaine disparaissait de l’Océan Pacifique, combien de containers d’exportations chinoise atteindraient-ils, sans être piratés, les côtes de Californie et les consommateurs américains ? Et combien de tankers pétroliers navigueraient-ils sans obstacle des côtes iraniennes aux ports chinois ? Tout le système mondial de communication et d’échanges est, en réalité, garanti par la présence physique des forces américaines sur l’ensemble de la planète. Ce qui vaut pour les communications physiques est tout aussi vérifiable pour la circulation de la monnaie , le Dollar ( géré par le Federal Board ), des capitaux (régulés par Wall Street) ou des informations (Internet géré aux Etats-Unis ).
Mais une lourde menace pèse sur la Pax americana : Chavez ? Non. Ahmadinejad ? Pas plus. La menace véritable vient du contribuable américain. Imaginons que celui-ci fasse ses comptes et en déduise que la Pax americana lui coûte plus qu’elle ne rapporte aux Etats-Unis : il apparaîtrait alors que pire que la Pax Americana, bien pire que l’impérialisme américain, serait leur disparition. Imaginez un monde dirigé depuis l’ONU !
(Josep Pla)
Adéu a Nihil Obstat | Hola a The Catalan Analyst
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dijous, 28 de setembre del 2006
El circ de l'ONU
Un magnífic article de Guy Sorman que em permeto publicar íntegrament perquè no té desperdici: