Les Américains se seraient-ils trompés de Président ? Barack Obama ne jouit plus dans son pays, que d’une popularité médiocre (en-dessous de 50% selon Pew), sa vision d’une société américaine plus redistributive est rejetée par le grand nombre, ses réformes sont enlisées, en particulier la création d’une assurance maladie universelle, son parti collectionne les échecs (Massachusetts, New Jersey) et pourrait perdre la majorité dès la fin de cette année. Obama qui incarnait une Amérique différente, élu sur un programme de « changement crédible », se retrouve en porte-à-faux avec une nation qui, dans l’ensemble, reste ancrée dans des convictions conservatrices et ne souhaite pas y renoncer. Au contraire de Bill Clinton, toujours disposé à négocier avec des majorités hostiles, Obama semble inflexible : il s’en tient à un discours à caractère social-démocrate, « libéral » dans le vocabulaire américain, très minoritaire aux Etats-Unis, apanage des universitaires de gauche et des éditorialistes du New York Times mais guère plus.
Vu depuis la droite conservatrice, voici Obama soupçonné d’être un « Européen » caché (le terme lui est sans cesse accolé par les chroniqueurs du Wall Street Journal) : ce n’est pas un compliment. « Européaniser » les Etats-Unis revient à confier à l’Etat fédéral, un rôle moteur dans l’économie et une mission sociale à des fins égalitaires. Obama, sans doute, estime que la Poursuite du Bonheur, inscrite dans la Déclaration d’indépendance, exige cet Etat juste et régulateur. La nationalisation de fait d’industries automobiles et d’une partie des banques et des assurances, participe bien de cette conception européenne de l’Etat. L’« européanisme » a dicté la stimulation économique par la dépense publique, les projets écologiques et la tentative de généraliser l’assurance maladie. Michelle Obama, n’est pas en reste : elle mène une campagne nationale de lutte contre l’obésité qui pourrait conduire à une taxation des calories sur les consommations préférées du peuple américain. Cette interférence entre vie privée et autorité publique peut être légitime mais dans l’ensemble, elle est mal tolérée par ce que l’on appelle l’Amérique profonde.
En accroissant les prélèvements publics de 25 à 30% de la richesse nationale, le gouvernement Obama reste loin des normes européennes (autour de 50%), mais il est vrai qu’il s’en rapproche. Cette accélération de la dépense publique, sans précédent depuis la Deuxième guerre mondiale, n’inquiète pas que les conservateurs : entre économistes américains, il existe un relatif consensus (manifeste lors de la récente réunion annuelle de ces économistes à Atlanta) sur la relation inverse entre dépense publique et taux de croissance. L’Europe « solidaire » croît plus lentement que le capitalisme « sauvage » américain . L’Amérique d’Obama, si elle devenait plus étatisée, deviendrait plus égalitaire mais elle pourrait aussi converger avec la croissance lente et le chômage endémique qui, en Europe, mécaniquement en dérive. Tel n’est pas la préférence majoritaire des Américains, adeptes de croissance forte, quels que soient les accidents sociaux ou écologiques qui l’accompagnent.
Les intentions d’Obama sont nobles : le rejet manifeste, jusque dans son parti, n’est pas celui des intentions mais de la méthode étatiste et du soupçon qu’elle nourrit. Ce soupçon porte sur les valeurs mêmes de l’Amérique : il s’appelle le socialisme. Vu de la droite conservatrice, Obama n’est pas Noir, il est Rose ; il n’a d’ailleurs jamais été Black, mais métis et diplômé de Harvard de surcroît. Le Rose est plus embarrassant : le socialisme n’est-il pas la négation de la civilisation américaine ? Le socialisme place le collectif au-dessus de l’individuel, l’Etat au-dessus de l’initiative privée, l’internationalisme avant le patriotisme, voire l’athéisme au-dessus des cultes. Insinuer qu’Obamaest socialiste, ce que va répétant Sarah Palin, la passionnaria conservatrice, soutenue par la puissance médiatique de Fox News, le rejette hors du rêve américain. Un « Européen », rétorquera que les pauvres, les chômeurs et les non assurés ne participent pas réellement à ce rêve américain ! Certes, mais les Américains, tous ou presque y croient, y compris les plus démunis et le million d’immigrants (au moins) qui afflue, chaque année, aux Etats-Unis. Priver les Américains de leur rêve est certainement une erreur politique ; administrer le rêve par l’Etat, pour les conservateurs, c’est un péché.
À terme, Obama devra se soumettre ou se démettre. Il envisage de n’être pas réélu et il est certain qu’il ne changera pas les Etats-Unis : le capitalisme restera brutal, Wall Street immoral, la solidarité publique modeste mais la charité privée, essentielle pour panser les plaies du système.
Et du changement en politique étrangère, il n’est plus trop question : passé le temps de la rhétorique et des bons sentiments, la continuité l’emporte. L’Empire américain est d’autant plus immuable que l’Armée le gère. Il suffit que le Général David Petreaus, stratège de la guerre en Irak et en Afghanistan, fixe objectifs et méthodes : la Maison Blanche s’y rallie. Ce n’est pas neuf : au fil de l’histoire américaine, le Président suit l’Armée plus que le contraire, tandis que la peuple américain soutient l’Armée plus que le Président. L’Amérique d’Obama est restée aussi martiale que celle de George W. Bush : les Américains sont rarement pacifistes et la plupart estiment que la guerre reste une juste manière de gérer les conflits internationaux. Et la prison de Guantanamo n’est toujours pas fermée.
L’élection d’Obama laissa croire, en Europe surtout, en une métamorphose des Etats-Unis. De fait, le rêve américain paraît plus accessible à tous, sans distinction des origines. Mais ce rêve lui-même - individualisme, piété, matérialisme, réussite, argent, les Etats-Unis comme terre promise – reste immuable. Pro et anti-Américains, tels qu’il en existe partout dans le monde, devraient s’accorder sur ce constat minimum : les Américains se perçoivent comme différents et exceptionnels et Barack Obama n’est pas parvenu à les en dissuader.
(Josep Pla)
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dimarts, 16 de febrer del 2010
Estats Units: el retorn dels conservadors
Guy Sorman: