"Nous ignorons ce qui se trame derrière les rideaux. Pourquoi et combien d’interviews et pour quelle raison ? Toutes ces souffrances parce que notre avocat a révélé la vérité et l’illégalité dans un dossier ? Pourquoi est-ce qu’avec la réalisation de fausses interviews, provoquent-ils leurs partisans contre nous, de façon à ce que nous soyons la cible de leurs attaques ? Pourquoi moi et ma petite sœur sommes-nous obligés de nous cacher ? Où est la justice dans tout cela ? Pourquoi ne nous laissez-vous pas être aux côtés de notre mère pendant l’interview ? Pourquoi jouez vous avec sa vie et avec la réputation de notre famille durant votre émission télévisée ? Pourquoi poussez-vous vos supporters contre nous afin que dans la rue, nous soyons suivis et frappés. Et qu’ils nous traitent de fils de… Combien de fausses interviews encore ?
Ces jours-ci, nous sommes perdus, à la recherche de nous-mêmes.
Tout ce qui arrive rend le sens de nos vies chaque jour plus incompréhensible.
Nous sommes fatigués et ne souhaitons qu’une chose: trouver refuge et paix dans les bras de notre mère.
Nous sommes fatigués, nous frissonnons, tant nous avons essuyé d’injustices et d’insultes, tant nous nous sommes cachés pour pleurer.
Ce chemin de vie obscure, nous le traversons la peur au ventre et le désespoir au cœur.
Nous sommes si fatigués d’avoir tant couru seuls.
Nous n’avons plus de larmes pour nettoyer nos joues.
Nous sommes fatigués d’avoir tant pleuré et nous voudrions tant, aujourd’hui, pouvoir pleurer avec toi.
Nous sommes fatigués de lutter seuls.
Nous voulons étreindre ton cou et embrasser tes épaules.
Oui, maman, cela fait des années que ni ton ombre ni celle de papa ne nous protègent plus. Souvent, nous gardons les yeux fixés sur la porte, mais ils nous interdisent, maintenant, d’avoir de tes nouvelles.
Qui sommes nous ? Des êtres vivants ? Où et pour qui sommes nous en vie ? Nous l’ignorons. Pourquoi Dieu nous a-t-il créés, tous les deux, ma sœur et moi? Sommes-nous venus au monde pour subir tant de tortures ? Pourquoi et combien ? Durant notre enfance, alors que nous nous recroquevillions de peur dans les ruelles sombres et froides, nous avons perdu notre maison.
Pendant que les filles s’amusaient dans les bras de leur mère pour qu’elles leur tressent les cheveux, ma sœur, elle, frissonnait dans le froid et la neige, en priant le long du grand mur de la prison pour que, peut être, on la laisse apercevoir sa mère.
Pendant que mes camarades étaient assis aux côtés de leur père, avec qui ils répétaient leurs devoirs d’école, moi, j’étais témoin du meurtre de mon père, et, encore plus douloureux, de la fausse et ignoble accusation de l’assassinat de notre père par notre mère.
Toujours, lors du cours de dictée, nous faisions des fautes au mot « mère », pour que le maître nous punisse et nous fasse écrire, mille fois, sur une feuille blanche : « Mère ». Pouvez vous l’imaginer ?
Notre avocat Houtan a lui même perdu son domicile. On ne l’autorise même plus à pénétrer à l’intérieur du ministère de la Justice pour le seul crime de nous avoir défendus. Il a même besoin de quelqu’un pour le protéger. Cette vie est devenue, pour nous tous, une tragédie. Peut être que l’interrogateur des services de Renseignement du Régime, la semaine dernière, au moment de la perquisition du bureau de notre avocat, avait raison quand il nous a annoncé que, même si nous retrouvions notre mère, “ils” ne nous ne laisseraient plus jamais vivre en paix. Car, selon lui, le monde se préoccupe uniquement de la libération de notre mère, pas de notre vie.
Oui, notre vie n’a aucun sens. Nous sommes rejetés de partout, y compris dans notre propre famille.
Le jour où, au comble du désespoir, j’ai appelé Mme Mina Ahadi, et le jour où j’ai observé d’Iran le soutien si généreux de nos amis, connus et inconnus, du monde entier, ont été comme la lumière dans la pénombre de la solitude.
Nous vous supplions, du fond du cœur, de continuer de penser à nous, mais aussi à nos semblables, et à toutes les personnes emprisonnées en Iran, surtout qu’ils n’ont pas la possibilité de se défendre alors qu’ils sont innocents. Oui, nous vous prions. Nous vous supplions."
Sajjad et Saeideh, au monde entier.
La carta es publica al blog de Bernard-Henri Lévy.