Ceci étant, la création délibérée d’une perception faisant croire au désastre ne suffit pas à prouver l’absence de celui-ci, et le fait que la coalition dirigée par les Etats-Unis ne parvienne pas à contrer le message de ses ennemis ne nous dit rien sur son exactitude. Nous devons en revenir aux critères de succès, et constater que le gouvernement américain n’a jamais établi de tels critères – du moins ouvertement, ce qui compte pourtant immensément vis-à-vis de sa population. L’opération « Iraqi Freedom » avait un nombre donné d’objectifs à court et moyen terme, dont certains ont été atteints et d’autres non, mais il nous manque un effet attendu permettant de la juger plus sûrement. Autrement dit, si les tenants du désastre pêchent par l’absence de tout bilan justifiant leur jugement, les défenseurs à tout crin de l’opération doivent se contenter de présenter un bilan dont le contenu se traduit difficilement en succès ou en échec.
Les uns comme des autres ont avant tout un problème de perspective. A l’immédiateté et à l’effet de loupe qui nourrissent quotidiennement le désastre, et donc à l’incompréhension des facteurs temps et information, répond en effet une vision réductrice et séquentielle, méconnaissant les facteurs espace et forces, qui alimente constamment le flou et l’incertitude. En faisant progressivement de sa présence militaire en Irak une fin en soi, et non une contribution majeure mais partielle à une stratégie globale, le gouvernement américain a renoncé de lui-même à l’initiative qu’il avait prise suite aux attentats du 11 septembre. De ce fait, il a sévèrement réduit le sens de son engagement irakien, soit l’efficacité de son message à l’étranger comme à domicile, et empêché que son bilan, mis en perspective avec d’autres actions parallèles, s’oppose au désastre que ses ennemis idéologiques et ses adversaires politiques se sont ingéniés à fabriquer.
Pourtant, la campagne – et non la guerre – d’Irak remplit une fonction claire : alors que l’Afghanistan est un théâtre périphérique voué à l’interdiction, comme d’autres régions de par le monde, l’Irak est un théâtre central voué à l’attrition, c’est-à-dire à l’usure des ressources physiques, psychologiques et morales, un point d’entrée pour une région tout entière, un symbole historique et religieux qui rend inévitable la réaction, et donc qui crée des conditions favorables à la décision – sans l’être par lui-même. En tant que point focal du conflit opposant les démocraties libérales au fondamentalisme musulman, l’Irak mobilise depuis 3 ans et demi toutes les attentions, mais il ne constitue pas un bras de levier suffisant pour faire basculer des acteurs aussi puissants que l’Iran et l’Arabie Saoudite. Autrement dit, il n’est pas le centre de gravité, mais un point décisif qui en donne l’accès.
C’est d’après un tel contexte qu’il s’agit de juger la situation en Irak et l’opération militaire conduite par les Etats-Unis. Les violences spectaculaires qui frappent avant tout la population civile donnent ainsi une image tellement barbare des islamistes et de leurs soutiens qu’il est stupéfiant d’y voir la source d’un « désastre ». De même, les affrontements entre chiites et sunnites – principale cause de violence aujourd’hui – et l’exode progressif de la minorité sunnite réveillent les divisions du monde musulman et s’opposent à son unification sous la bannière du djihad global, tout en soulignant le prix à payer pour tout refus du processus démocratique. Pour des centaines de millions de personnes, l’Irak de l’après-Saddam est une révélation déchirante d’avenirs possibles qui stimule aussi bien l’activité des islamistes – pris à la gorge – que celle des modernistes, et qui contribue à l’évolution des esprits.
Dans cette perspective, cependant, le bilan de « Iraqi Freedom » reste mitigé. L’action à court terme, en commençant par le renversement de Saddam Hussein et la construction d’un Etat démocratique, se poursuit jour après jour malgré une très forte opposition et des dérapages contre-productifs ; l’action à long terme, avec la libéralisation de l’économie comme de l’information et le développement de l’éducation, s’accomplit avec un succès presque inespéré. En revanche, l’action à moyen terme, c’est-à-dire l’influence concrète sur le conflit global en cours, laisse pour le moins à désirer. Pour utiliser une métaphore empruntée au monde des échecs, on a l’impression que les Etats-Unis ont pris le fou Saddam sans penser au coup suivant, et sans faire de cette prise un tremplin pour les prochaines. Une telle discontinuité réduit forcément la cohérence de l’ensemble.
Peut-être ce manque de cohérence explique-t-il aujourd’hui la faiblesse de l’administration Bush, somme toute coupable de s’être arrêtée en Irak et non d’y être allée, ainsi que sa propension à lâcher du lest politique sans y être contrainte. Peu importe dès lors que le « désastre » américain soit une fabrication à la fois délibérée et contingente, une perception contraire à la réalité quotidienne comme au contexte général : perdre ou méconnaître le sens de sa propre action ne permet que très difficilement d’en convaincre les autres. Et un vrai désastre en Irak, sous la forme d’un retrait précipité, est encore possible.
(Josep Pla)
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divendres, 17 de novembre del 2006
Iraq: la fabricació d'un "desastre"
El tinent coronel Ludovic Monnerat analitza a la Revista Militar Suïssa la situació a l'Iraq amb la perspectiva de les recents eleccions legislatives nord-americanes. Val la pena llegir-lo sencer.