Comment expliquer la réticence de Touraine à s’exprimer en français dans un campus bilingue situé dans un pays qui se glorifie de faire la part belle au français et d’être membre de la Francophonie ? Difficile d’attribuer ce tic linguistique à la méconnaissance des lieux; Touraine est venu à plusieurs reprises au Canada et au Québec pour y donner des conférences; il doit sans doute savoir, avec toute la finesse que procure l’analyse sociologique, ce qu’implique de professer en anglais devant un parterre composé d’une bonne partie de Québécois et de francophiles du Canada et d’ailleurs. À moins que Touraine n’ait voulu signifier à son auditoire le message suivant : le plus grand honneur académique n’est point tellement de recevoir un doctorat honoris causa que d’en décrocher un qui provienne de l’anglosphère, dans la seule langue scientifique qui compte aujourd’hui. Il existerait au fond deux types d’intellectuels. D’un côté, il y aurait ceux qui s’entêtent à vouloir user dans leurs communications de leur langue nationale, reléguée au rang de dialecte d’intérêt ethnographique, et qui se confinent ainsi à des horizons limités ; de l’autre, les intellectuels de stature mondiale, qui circulent, qui voyagent d’un continent à l’autre, qui donnent des leçons de cosmopolitisme à la planète, en anglais s’il vous plaît, participant ainsi de plain-pied à un nouvel ordre impérial des idées. Qu’on soit au cœur de l’Euroland ou des Americas, l’antienne est la même. Voilà peut-être ce que Touraine a voulu dire à ses amis d’Amérique, le type d’arbres qu’il a voulu planter pour les « générations futures » dans un campus qui s’enorgueillit de posséder un jardin à la française.
Gràcies Toni.